Brusquement , plus rien autour de nous ...
Le ciel devient bleu nuit , un grand éclair blanc zèbre l' atmosphère , dans un fracas de tonnerre comme il se doit , je ne vois plus rien d'autre , je n'entends plus rien d'autre , je ne peux faire aucun mouvement ...mais étonnamment sereine et confiante...
Un bruit de voix ...ma grand-mère , qui nous avait mis dos à dos pour nous mesurer, nous sépare et brise le charme.
"Mais si , puisque je te le dis , qu'elle est plus grande que toi !"
Le monde "normal" se réinstalle dès que le contact charnel est rompu . Et moi je ne dis rien ...encore dans la lune , comme on me le disait si souvent , dans les nuages ...je viens de vivre le coup de foudre et je ne dis rien !! j'ai 9 ans !!(lui aussi) je ne sais même pas qu'il m'arrive quelquechose ! personne ne voit que tout mon monde intérieur vient d'être rasé et reconstruit !!...en combien de temps ? le temps pour les autres de prononcer quelques phrases que ma mémoire a effacées , trop occupée à enregistrer ce qui serait désormais mon fond d'écran !
Enregistrement haute fidélité , je peux vous le dire , ce moment , lui , n'a pas pris une ride ...
Vacances d'été à Nuits-Saint-Georges...les chemins dans les vignes...les pauses sur les pierres chaudes des petits murets...emplir mes yeux de son image , sa peau mate , ses cheveux noirs , mettre son accent sur ces images , lui le djurdjura, le djebel amour, moi la champenoise métissée de Bourgogne, que d'ivresse avant même que de boire !...courir dans la montagne de Nuits pour lui échapper... les grands n'ont rien vu à ce qui se passait - ces jeux de l'amour "enfantin" qui n'aura jamais été aussi éclatant- les bains dans la cour...les glaces à la framboise qu'il ne prenait que pour me les donner , les parties de cartes où je lui donnais toutes mes coeurs...la séparation à la fin des vacances même pas vécue comme une séparation...ça , ça viendrait plus tard...on ne peut pas séparer des enfants qui s'aiment...Voilà . C'était en juillet 1956.
En arrivant chez moi , je suis allée dans le jardin , j'ai grimpé sur le petit mur qui me séparait du jardin de ma voisine et où nous nous retrouvions tous les jours pour discuter , et je lui ai dit : " J'ai rencontré l'homme de ma vie . " Et elle m'a cru. Je me souviens parfaitement avoir été un peu étonnée d'avoir employé le mot "homme" , mais un peu étonnée seulement. Ma petite voisine n'a pas semblé étonnée du tout .
Parents , grands-parents , ça n'arrive pas qu'aux autres . Regardez bien vos enfants de 9 ans ...On ne sait jamais !
A suivre.
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