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A la demande virtuelle de Monik , je suis partie à la recherche de la crosse perdue . Pour mémoire voici la photo de la fameuse crosse pastorale vue au Petit Palais
et comme toujours , plus on cherche , plus on trouve ...de questions !
Puisque la recherche , fort intéressante , risque d'être aussi fort longue , je la poursuivrai hors blog et je livre aujourd'hui , pour ceux que cela intéresse , les pistes où j'ai fait quelques pas !
En vrac quelques réponses ( c'est ce qui encourage à continuer ;-) entremêlées de questions
J'y ai gagné d'abord un enrichissement de mon vocabulaire ! -voici la douille ↓ dans laquelle était introduite le bâton ou hampe , dont on ne retrouve en général plus trace des siècles plus tard
-le noeud , ici orné d'un personnage ailé ↓ ( un ange ? un christ , une vierge en royauté ? un saint ? ) séparé par une couronne de palmettes d'une double file de salamandres ou de lézards ou de petits dragons
-le crosseron ↓ en forme de serpent , dans la volute un lion mordu par la queue
Cet objet que nous pensions original est en réalité des plus communs : ci-joint un extrait des annales d'archéologie traitant des bronzes et orfèvrerie du Moyen-Age ( bâtons et crosses)
"Les exemples de crosse en serpent aux prises avec un lion sont les plus nombreuses que l'on connaisse . Chaque fois , pour ainsi dire , que l'on découvre un tombeau d'évêque du XIIème ou XIIIème siècle , on y trouve une crosse ainsi faite . C'est à croire que ce modèle appartient à tous les orfèvres et fondeurs de France et autres nations , et qu'à la même époque , de 1150 à 1280 , on l'a mis dans les mains de tous les prélats du monde ."
Il existe effectivement une quantité de modèles conservés dans les musées de France , Allemagne , Angleterre Espagne , Russie , et cet exemplaire pour n'en citer qu'un :
Objets d'Art Objet de culte (Crosse) Matériaux : Email champlevé, Cuivre doré Date : vers 1200 Artiste : Anonyme Modèles : Lion, Serpent Lieu : Musée du Louvre Suger Aile Richelieu - Premier étage - Section 02 Vitrine : V46 Région en relation : Limoges (France) Acquisition : Don F. Doisteau (1919)
Ce modèle présente une analogie frappante avec le modèle exposé au Petit Palais , mis à part le personnage central ici absent . Et les annales d'archéologie apportent là encore une explication surprenante :
".......affectent toutes la forme du serpent mordu à la gorge par le lion ou mordant lui-même la queue de son adversaire rugissant , comme dans l'exemple du N°97 ( modèle vu au Petit Palais ). L'exemple que nous offrons présente une particularité qui ne se produit pas dans toutes les crosses de cette classe : du noeud émerge un ange qui porte sur sa tête la naissance du crosseron que ses deux ailes vont soutenir à la volute. Ce motif ingénieux donne plus de hauteur et de solidité à la volute entière , mais , le dirais-je , tout ingénieux qu'il soit , je ne le crois pas ancien et j'aurais bien quelques preuves à vous donner , s'il le fallait , pour l'attribuer à un "inventeur" de ma connaissance . Un ange ainsi tronqué portant ainsi sur sa tête et consolidant de ses deux ailes un serpent qui est le diable , c'est passablement étrange pour le Moyen-Age , surtout pour le XII-XIIIème siècle . D'ailleurs ce crosseron est trop élevé et il ment à la proportion qu'on aimait à cette époque.......De toutes les crosses de cette classe , celle que nous donnons comme authentique et comme modèle dont les autres procèdent , c'est le N°98 : à la douille de petits lézards ou dragons aptères , tête en bas et queues en volute pour recevoir le noeud . A ce noeud , fabriqué en coquille , d'autres petits lézards courent horizontalement....sur cette base de petis dragons ou de diablotins inférieurs , repose le gros serpent , Satan , qui enroule en volute son cou et sa tête , et que l'archange Saint Michel terrasse . Voilà le véritable symbolisme et la véritable forme adoptée au XIIIème siècle . Quelquefois assurément , le lion ( est-ce Jesus -leo de tribu Juda -?) a remplacé dans le combat , sur une foule de crosses , l'archange Saint Michel, comme dans la crosse d'Hervée ( évêque de Troyes) , mais jamais , que je sache , le Moyen-Age n'aurait eu l'idée de hisser Satan sur la tête complaisante et puissante d'un ange , comme les faussaires l'ont fait au N°97."
Les animaux sont traditionnellement porteurs de multiples symboles , variant suivant les époques et les lieux ...ces crosses représentant toutes un combat entre un lion et un serpent me semblent cependant reliées à d'autres légendes et les explications savantes des experts archéologues me laissent un peu sur ma faim...Je ne peux m'empêcher de penser au Chevalier au lion (1175 Chrétien de Troyes), Yvain , chevalier de la Table Ronde et fils de Morgane . Yvain surprend dans un essart un lion aux prises avec un serpent qui vomit des flammes ; le reptile l'ayant retenu par la queue , il lui brûle toute l'échine...
"Messire Yvain se demanda auquel des deux il aiderait et il se décida pour le lion car on ne doit faire de mal qu'aux êtres venimeux et pleins de félonie...Il tira l'épée , mit l'écu devant sa face pour se garantir du feu que le serpent ruait par la gueule , plus large qu'une oule , et il attaqua la bête félonne...."
Le lion , délivré aux dépens d'un morceau de sa queue , resta dévoué au Chevalier Yvain qu'il défendit contre ses ennemis . Et comme la réalité égale souvent la fiction , il convient de noter que ce héros quitta la légende pour entrer dans l'histoire ,en se réincarnant sous les traits d'un certain Gouffiers de Lastours , seigneur de Chalard près de Limoges ( d'où provient cette crosse ) . Ce jeune seigneur fut un héros de la première croisade prêchée en 1095 par le pape Urbain II à Limoges , eut là-bas l'occasion de délivrer un lion de l'étreinte d'un serpent , et fut surnommé également le chevalier au lion ... Bienheureux sera celui qui , par Révélation Divine , identifiera le serpent et méritera ce titre en sachant délivrer le lion de sa terrible étreinte !
Le serpent est si intimement lié à la symbolique religieuse judéo-chrétienne , du tentateur d'Eve à la verge d'Aaron se transformant en serpent devant Pharaon , au serpent de Moïse qui guérissait ceux qui étaient mordus , tour à tour bénéfique ou maléfique ...
Cet objet , signe de la dignité d'abbé , d'abbesse ou d'évêque , n'a-t-il pas d'analogie avec une chimère ? ou avec la clé alchimique permettant de forger les métaux et les pierres grâce à la combinaison des forces élémentaires (lion-serpent/terre ,poisson-dauphin/eau , salamandre/feu , aigle -ailes/air) tenir cette crosse dans la main ne conférait-il pas un sentiment de puissance ?
Je me suis passionnée aussi pour la technique du champlevé et me suis égarée bien souvent loin de la crosse ...c'est bon de se perdre aussi quand on cherche ...
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